Par Christian TOUMBA
PATALÉ[1]
Qui sont les « Ɗiy na Kaɗa » ? Voilà une interrogation qui pose
d’emblée le problème de la nature, de l’essence, de l’être, etc. de tout un
peuple. L’on aurait d’ailleurs pu poser cette même préoccupation en des expressions
similaires : Qui sont les « Kaɗa » ? Qui sont les Guidar ?
Qui sont les « Baïnawa » ? Que veut dire Guidar ou
« Baïnawa » ? Dans toutes ces formulations, la première question
garde plus ou moins son sens. Tout compte fait, toute tentative de réponse à
l’une comme à l’autre de ces questions devrait donner un savoir totalisant sur
ce peuple qui fait l’objet principal de ce Blog. Seulement, une difficulté
demeure : peut-on envisager définir l’être entier d’un homme, plus encore
de tout un peuple ou d’un groupe de personnes, sans pour autant tomber dans une
approximation sémantique et définitionnelle ; ceci, lorsque l’on sait que l’homme,
dans sa singularité ou dans son appartenance à une société, est marqué par un
dynamisme ? Mieux, la saisie intégrale de l’essence d’une culture peut-elle
être effective, même lorsque celle-ci n’existe plus à travers ses
peuples ?[2]
Le piège ne serait-il pas plutôt de prétendre définir, en l’enfermant dans des
mots, la consubstantialité de tout un groupe ethnique, sans pour autant arriver
à le faire, mais plutôt à le faire sous l’angle de « sa propre »
subjectivité et de « ses propres » penchants ? Loin de nous
l’idée d’exposer, dans son entièreté, ce que signifient, respectivement, les
termes et expressions « Guidar », « Baïnawa », « Kaɗa
», « ma Kaɗa » ou « Ɗiy na Kaɗa », il s’agira surtout de les
situer comme étant des « réalités », des « entités » ou des
« unités » ethniques, linguistiques et socioculturelles.
I- L’unité ethnique et linguistique
Pour commencer, il faut le reconnaître,
les « Ɗiy na Kaɗa », encore appelés Guidar, forment ce peuple de personnes qui
parlent la langue guidar ou « ma Kaɗa ». Ainsi, le constat que l’on peut faire
à partir de ces propos liminaires est celui de la mise en relation de l’ethnie
à une réalité linguistique. Seulement, tout ne se limite pas à la simple langue
que partagent entre eux les Guidar ; ce peuple a toute une histoire.
1- Une tentative de consubstantialisation
En tant que groupe ethnique,
c'est-à-dire comme ensemble d'individus que rapprochent un certain nombre de caractères
de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture, les Guidar
font partir des 22 millions[3] d’âmes
environ réparties en 250 à 300 groupes ethniques que compte le Cameroun. Ils s’inscrivent
dans l’une des quatre grandes familles linguistiques que l’on retrouve en
Afrique, dont trois au Cameroun. Dans le cas précis de ce pays du Golfe de
Guinée, nous avons le « phylum afroasiatique (mito-sémitique) »,
le « nilo-saharien » et le « niger-kordofan ». Le
« phylum afro-asiatique » dans lequel figure le peuple guidar a deux
familles : la « famille sémitique » et la « famille
tchadique ». « Cette dernière, nous dit Patrick Toumba Haman,
totalise 57 langues qui se subdivisent en cinq branches : la branche ouest,
la branche centre-ouest, la branche sud,
la branche est et la branche centre-est
au sein de laquelle se retrouve le guidar encore appelé kada »[4].
Aussi
utilise-t-on, au Cameroun, une autre forme de subdivision du territoire
national, mais cette fois-ci en aires
culturelles : l’aire Bantou, l’aire Grassfields, l’aire Sawa et l’aire
Soudano-sahélienne. Les Guidar font partir de l’aire Soudano-sahélienne. Qu’à
cela ne tienne, il importe de relever que les Baïnawa sont divisés en quatre clans, nommément les Moukdara, les
Mambaya, les Monsokoyo et les Mbana[5]. Constitués
d’environ 3 000 âmes aujourd’hui, ils s’inscrivent dans la logique de
toute une lignée historique.
2- Un peu d’histoire
Il était une fois, un peuple, un peuple qui, après de maintes
pérégrinations, se constitua en un groupe ethnique…
L’origine du peuple guidar se
situerait dans l’Égypte de la période pharaonique. Les Guidar viendraient
précisément de la vallée du Nil, ceci, en passant par le Soudan, les alentours
du Lac Tchad et les Monts Mandara. Ils occupent aujourd’hui les territoires du
département du Mayo-Louti au Cameroun et de la région du Mayo-Kebbi Ouest du
Tchad. Tout serait, en effet, parti de la chute de l’Égypte pharaonique. C’est
ainsi que plusieurs peuples vont commencer des migrations. « Ces peuples,
parmi lesquels se retrouveraient les Guidar, ont pris la direction du Sud et de
l’Ouest du continent noir »[6].
Périple du peuple
guidar de la Vallée du Nil jusqu’à son territoire actuel[7]
Après la déchéance de certains
empires, des migrations multipliées et la dispersion causée par l’empereur du
Bournou (Idriss Alaoma), les Guidar et d’autres groupes tels que les Daba, les
Fali et les Mambaï vont s’installer dans les Monts Mandara. Ils vont ensuite
descendre de façon progressive dans la vallée du Mayo-Louti, nom d’un cours
d’eau (Mayo-Louta) et dont porte encore aujourd’hui un département (département
dont le chef-lieu est Guider) de la Région du Nord du Cameroun. Les Guidar vont
dont aussi se retrouver dans les régions du Mayo-Kebbi Ouest et, pour
quelques-uns, accompagnés des Moudang, du Mayo-Kebbi Est du Tchad. Ils sont aussi
repartis dans la région du Nord du Cameron, notamment dans le département du
Mayo-Louti et les localités de Ngong, Lagdo, Pitoa, Rey Bouba, etc. avec, entre
autres, les autres régions du Septentrion du pays (l’Adamaoua et l’Extrême
Nord) ; certaines de ces populations se trouvent aussi dans les autres
parties du pays.
Localisation
géographique du département du Mayo-Louti au Cameroun et des régions du
Mayo-Kebbi Ouest et du Mayo-Kebbi Est au Tchad
3- En bref ?
Somme toute, la culture des
« Kaɗa » s’inscrit donc dans la diversité et la richesse du patrimoine
socioculturel et artistique africain. Au-delà des langues officielles du
Cameroun et du Tchad que sont le français, l’anglais et l’arabe, la langue des Baïnawa vient s’illustrer comme étant
une réalité linguistique nationale, et pourquoi pas internationale, à part
entière. Toutes choses qui contribueront d’ailleurs à densifier et à
diversifier la caractérisation de ceux-ci.
II- De la multiplicité/diversité de dénominations
Dans leur quotidien, les hommes
utilisent des « termes » ou des « noms » pour s’identifier
les uns les autres. Il en va de même pour les groupes ethniques. Ceux-ci ont
des dénominations qui permettent de les distinguer des autres groupes. Ces
appellations peuvent être données par eux-mêmes et/ou par les autres. C’est
ainsi que dans le cas des Guidar, tout individu qui aurait eu à séjourner dans leurs
localités connaîtrait certainement le mot « Baïnawa ». Quel est, en
effet, la signification d’un tel mot ? S’agit-il d’une notion rattachée à
une histoire mythologique, ou simplement d’une question de vision-visée-finalité
légendaire ? Du moins serait-il plutôt question d’une qualification faite
par d’autres, peut-être dans un sens mélioratif/laudatif ou péjoratif/dépréciatif
du peuple ? Ne désigne-t-on pas souvent un peuple par sa langue ou par son
territoire ?
1- Guidar : mon ami ?
Le terme Guidar qui vient de dardar, le nom du clan fondateur moukadara, désigne littéralement
« les gens bien forts, bien "damés" ». Le terme Guidar
est aussi un paronyme de Guider[8].
Il s’agit surtout d’un rapprochement qui est fait entre le peuple et la
principale ville dans laquelle se trouve ce peuple. Il importe cependant de
relever que les habitants de la localité de Guider ne sont pas tous des Guidar
dans le sens Ɗiy na Kaɗa du terme.
C’est ainsi que territorialement parlant, les Daba, les Mambay, le Guiziga et les Fali peuvent faire partir des Guidar, ceci comme habitants de
Guider.
Un autre mot utilisé pour
désigner le Guidar est « Baïnawa » ou « Baynawa », nom qui
est traduit littéralement par « Mon ami »[9].
Il s’agirait certainement d’une écoute fréquente des Guidar qui s’interpellent.
Le passant étranger, ignorant de la langue prendrait donc simplement le mot fréquemment suivi : Baïnawa, « Baridi
baïnawa ? », « Djami tagaïda baïnawa », etc. Seulement,
l’on ne saurait se limiter à la seule appellation de provenance externaliste.
Selon une approche internaliste, les Guidar sont appelés « Ɗiy na Kaɗa » ;
c'est-à-dire ceux qui parlent la langue guidar ou ma Kaɗa.
2- Le Guidar ou celui qui parle le Guidar ?
« Comme toute langue
n’existe que par rapport à un peuple, il serait bon de parler des locuteurs de
la langue guidar qui sont eux-mêmes appelés peuple guidar. »[10]
Un tel raisonnement peut-il encore être à l’ordre du jour ? En tout cas
c’est une problématique qui doit faire l’objet de tout un débat. Suffit-il de
parler la langue d’un groupe ethnique pour prétendre faire partir du groupe,
bien que toute langue se définisse par un peuple ? Tous ceux qui
appartiennent à un tel peuple s’expriment-ils toujours dans leur langue ?
Au-delà de toutes ces
interrogations nous retiendrons quelques conclusions personnelles[11] :
-
Est Guidar, toute personne dont le père est
Guidar ; ceci étant donné que la généalogie est patriarcale nonobstant
justement l’appellation de la langue nationale en terme de « langue
maternelle ».
-
Les épouses des Guidar (et certainement des
enfants d’adoption), bien que n’étant pas Guidar par filiation biologique, peuvent faire partir du groupe ethnique.
Ces épouses et ces « fils d’adoption » participent plus ou moins à
toutes les activités culturelles et peuvent prendre part aux rencontres
des associations à caractère culturel, etc.
-
Il ne suffit pas pour une personne non-Guidar
qui parle la langue guidar de prétendre appartenir au groupe ethnique
Guidar ; mais c’est du moins un esprit à louer, à savoir amener le plus
nombreux possible de personnes à parler la langue Guidar. Parmi les personnes non-Guidar
qui envisagent parler la langue des Kaɗa
nous pouvons citer toutes les personnes vivant avec et parmi les Guidar, et
toute personne de bonne volonté[12].
Au bout du compte, une chose est
à retenir : l’ethnie Guidar est très riche dans la diversité de ses
constituants. Elle est formée d'éléments très différents, souvent disparates et
hétérogène, éléments qui participent pourtant à son homogénéité et à sa
solidité.
N.B. : - Pour vos contributions, bien vouloir envoyer vos textes à l’adresse suivante : toumbapatale@gmail.com
- Vous pouvez aussi nous retrouver sur Facebook : https://www.facebook.com/DiyNaKaa
[1]
Étudiant-chercheur, Université de Dschang, Ouest-Cameroun.
[2]
L’exemple des peuples de l’Égypte pharaonique ou des Sao nous en dit d’ailleurs
beaucoup. Il n’est pas toujours aisé de cerner les réalités de ces peuples dans
tous leurs contours malgré le fait qu’ils n’existent.
[3]
Cf. Rapport de présentation des résultats définitifs du 3ème
Recensement Général de la Population et
de l’Habitat de novembre 2005 au Cameroun, Livre "Rapport de
Présentation des résultats définitifs, 22 avril 2010, par le Bureau Central des
Recensements et des Études de Population.
[4] Cf. « Le peuple guidar : ses origines,
ses traditions et l’impact de la modernité occidentale », Patrick TOUMBA HAMAN,
Cadre d’études au ministère des enseignements secondaires, à l’occasion de
l’ouverture du laboratoire de ressources orales à Yaoundé le 26 juin 2009.
[5]
Cf. R.G. Schuh, Données de la langue Guidar (MA KADA), Yaoundé, Société
Internationale de Linguistique, 1987.
[6]
P. Toumba Haman, « Le peuple guidar : ses origines, ses traditions et l’impact
de la modernité occidentale », op. cit.,
p. 3.
[7]
Toutes les images utilisées dans cet article sont tirée de Google Earth, 17 février 2014.
[8]
Cf. C. Collard, « La Société
guidar du Nord-Cameroun », in L’homme,
1971, tome 11, n° 4, pp. 91-95.
[9]
« Baï » qui veut dire ami et « Nawa », mon.
[10]
P. Toumba Haman, « Le peuple guidar : ses origines, ses traditions et l’impact
de la modernité occidentale », op. cit.,
p. 1.
[11]
Beaucoup de précisions peuvent encore être apportés par des
personnes-ressources plus averties.
[12]
Peut-être pour des questions de recherches à caractère scientifique en histoire
ou études africaines par exemple.