mardi 2 décembre 2014

« L’ÉCOLE » CHEZ LES « ƊIY NA KAƊA » : HIER ET AUJOURD’HUI

Par Justine TEMEYISSA PATALÉ[1]
Le mot école dans sa définition désigne un établissement ou une institution où l’on enseigne les éléments de lettres, de sciences et d’arts. Il s’agit aussi d’un ensemble d’instructions et de moyens mis en œuvre pour assurer la formation et le développement socio-culturels d’un être humain. Dans son acception moderne, le terme est plus utilisé pour dénommer une institution bien structurée qui a pour charge le suivi progressif, dans le temps, des capacités cognitives des hommes, et l’insertion socioprofessionnelle de ceux-ci. C’est dire qu’il est question du pôle infrastructurel qui est surtout pris en compte. Dans cet article il s’agit de mettre en exergue la notion de l’école dans la société guidar, spécifiquement les « Ɗiy na Kaɗa ».

Deux élèves à Guider (2014)
Le terme école est désigné en langue guidar par l’expression « Kiti na wyaka » ; littéralement « kiti » signifie « endroit » et « wyaka » « apprendre » : l’endroit où l’on apprend. Il y aurait certainement eu l’influence occidentale dans une telle appellation. Car, la définition du mot école semble alors dépendre du lieu où l’on se trouve pour acquérir un certain nombre de connaissances. En tout état de cause c’est la pensée de l’apprentissage qui est soulignée dans la thématique de l’école, puisque apprendre, avons-nous dit, c’est acquérir des connaissances, mais aussi et surtout, faut-il ajouter, une acquisition par un travail intellectuel et/ou par expérience.
Toutefois, selon la culture guidar, l’école désigne, dans un sens large du terme, le lieu où l’on apprend les bonnes manières et le comment vivre : en plus du savoir purement théorique, c’est le savoir-faire et le savoir-vivre qu’il faut envisager. L’enjeu est donc énorme : ce sont les idées de pratiques, d’habileté, etc., dans le sens de faire (technique) et de bien-être ou de bien se comporter (sagesse) qui sous-tendent l’idée d’école chez le Guidar. C’est pourquoi, l’apprentissage, dont il est question ici, est ressenti de prime à bord, dans le quotidien de celui-ci. Les activités cognitives sont le plus souvent reparties selon le genre et l’âge.

Des femmes entrain de travailler

La jeune fille par exemple apprend des recettes de cuisine avec la mère, elle est formée aux travaux ménagers en général (la propreté de la maison, la buanderie, etc.), à certains travaux champêtres (la culture et la récolte des arachides, du sésame, le niébé[2], et la cueillette et le séchage des légumes par exemple) et à certaines techniques manufacturières comme la poterie et le filage du coton. Elle est aussi préparée pour sa future maternité. Le jeune garçon, quant à lui, apprend les techniques champêtres (la culture du mil et du maïs) et architecturales avec le père (la construction des casses et de leurs toits en chaume notamment). Il est éduqué et formé pour exercer les tâches qui demandent généralement plus de force physique.

Le port du toit en chaumes par de vaillants jeunes hommes

Les adultes ne sont pas aussi en marge. Ceux-ci font dans l’école de la vie. Ils sont en même temps formateurs et éducateurs de leurs progénitures et des plus jeunes. Ils sont normalement appelés à être les modèles pour ces derniers dans plusieurs domaines ; ils doivent leur apprendre à surmonter les difficultés de la vie. Par de là une telle structuration va transparaître toute une philosophie de l’éducation qui peut être illustrée à travers les soirées au clair de la lune, soirées jonchées de contes, de devinettes, de proverbes (Ma Gawla), de jeux sociaux et éducatifs, de proverbes, etc. ; chacun y a en effet un rôle à jouer dans l’édification complète de sa propre personne/personnalité et celle de ses congénères. Le Ɗiy na Kaɗa est donc dans une école de la solidarité. C’est d’ailleurs fort à propos que les auteurs de Le village Djougui. 20 ans d’expérience d’un Comité de développement au Nord Cameroun affirment :
Les champs étaient labourés à tour de rôle, selon un calendrier arrêté de commun accord entre l’homme et ses épouses et en fonction des priorités du moment. Les jeunes s’occupaient du gardiennage des animaux (petit ruminant ou bovins), les tout petits restaient à la maison, parfois avec les vieillards lorsque ceux-ci ne pouvaient plus travailler. Ils gardaient la maison contre les intrus et les chiens errants, chassaient les oiseaux granivores au moment des récoltes ou protégeaient les poussins contre les rapaces[3]
Nonobstant une telle peinture de la réalité éducationnelle et éducative du peuple guidar, une préoccupions demeure : Où en sommes-nous Aujourd’hui ? Le jeune garçon guidar a du mal à faire un toit en paille. Que dire de La fille qui a de la peine à réaliser avec dextérité les mets traditionnels tels le Tasba[4], le Zoula[5] mederkene, le Zingéli[6] Kong Kong et j’en passe. Est-ce à dire que cette charge éducative et éducationnelle est désormais confiée à l’école moderne ?
 Parlant de l’avènement de l’école moderne dans la société guidar, celle-ci, faut-il le noter, a été sous l’influence des colonisateurs et, parallèlement, des premiers missionnaires (les Oblats de Marie Immaculée en particulier). Pour question d’illustration nous pouvons mentionner l’ordination sacerdotale de Claude Marie Dawai[7], le 22 mai 1972, premier prêtre guidar. Cela ne nous étonnera pas, qu’en 1947 déjà, l’école de Guider ne comptait que 60 élèves[8]. À titre de rappel, « une école fut créée à Garoua en 1906 et [celle-ci] comptait 54 élèves en 1913 »[9]. Le pays guidar, sous la colonisation allemande[10] comme sous la tutelle et le mandat franco-anglais, se voit doté d’infrastructures scolaires. Le nombre très bas d’élèves au départ va grandissant avec le temps. Seulement, il y avait des réticences de la part des populations. Les guidar n’accordaient pas trop d’intérêt pour l’école moderne. Il va falloir surtout attendre la période des indépendances pour voir grandir cet intérêt pour l’éducation scolaire ; le lycée de Guider, alors lycée des jeunes filles, est un pôle par excellence d’éducation, ceci sans oublier le Collège Eugène de Mazenod de N’Gaoundéré, plus éloigné, et les établissements scolaires de Garoua : plusieurs Guidar y seront formés. Mais avec le temps, comme certains d’entre eux aspiraient à la vie presbytérale, ceux-ci optèrent pour l’école puisque l’itinéraire pour la prêtrise était le grand séminaire, passant par le petit séminaire. Entre autres, les Grandes écoles sur le territoire national (l’Université de Yaoundé singulièrement à travers ses écoles de formation que sont l’ENAM[11], l’ENS[12], etc. et le Centre Universitaire de Dschang, pour ne citer que celles-ci) vont accueillir les natifs du terroir guidar. Les choses vont se diversifier avec la réforme universitaire de 1993[13], avec la création de plus d’une université d’État[14]. Plus tard beaucoup d’entre eux vont se retrouver dans le corps militaire.
Il importe pourtant de relever une chose, c’est que chez les guidar le garçon était le plus motivé par les parents à aller à l’école. Quant à la fille celle-ci était réservée pour les tâches ménagères. Parfois certains parents choisissaient financer les études du garçon au détriment de celle de la fille puisque cette dernière étaient destinée au mariage, et par conséquent ne devrait perdre son temps à l’école moderne. Dès lors le lieu d’apprentissage pour la jeune fille demeurait la cuisine en particulier et le cadre ménager en général. C’est la problématique du genre qui est alors au centre de la question éducative. C’est avec le mélange culturel que tout semble devenir homogène, malgré les éléments reténeurs que va charrier une certaine manière de voir « musulmane »[15] des choses. En arrière-plan, l’éducation traditionnelle d’en tant perd au jour le jour son éclat : il n’y a presque plus de soirées au clair de la lune, l’oubli grandissant de plusieurs techniques culturelles et manufacturières n’est plus à prouver. Or, l’on ne doit pas perdre de vue ces mots d’Arnold Gehlen :
[L’homme] vit en tant qu’être de culture, c'est-à-dire grâce aux résultats de prévision, de planification, exercée en commun, qui lui permet d’élaborer, à partir de n’importe quelle constellation de conditions naturelles, des techniques et des moyens d’existence, grâce aux modifications qu’il apporte par son activité de prévision[16].
En revanche tout, le paysage scolaire contemporain du Guidar se métamorphose. De nos jours avec la modernisation, les Ɗiy na Kaɗa ont compris que l’école est bienfaitrice. Avec le temps, beaucoup vont prendre goût à l’école moderne. Ainsi nous auront par exemple des ingénieurs et docteurs guidar. Les Guidar sont dans presque dans toutes les sphères éducationnelles du pays, ceci malgré leur petit nombre, comparativement à celui des autres groupes ethniques. Mieux encore, la langue Kaɗa est désormais enseignée dans plusieurs salles de classes du Pays ; des documents de liturgie catholique sont alors transcrits ; tout un alphabet et un système de graphie sont reconnus. À titre illustratif, voici l’alphabet Guidar :
Voyelles : i, e, u, ə, u, o, a ;
Consonnes : p, b, ɓ, m, f, v, t, d, ɗ, s, z, n, l, r, y, k, ŋ, ’, h, w ;
Consonnes complexes : vb, mb, nd, sl, zl, ŋg, ŋgb, kg, gb, nz.
Il reste cependant encore beaucoup à faire ; en ce sens que le monde d’aujourd’hui a plus d’importance grâce au savoir.

Au demeurant, la conception qu’on les Ɗiy na Kaɗa de l’idée d’ « école » a évolué à travers le temps. Du lien étroit avec les réalités traditionnelles au divorce plus ou moins consommé d’avec celles-ci pour une liaison toujours inabouti dans sa complétude avec l’école occidentale, le Guidar est confronté à des défis ; ceux de l’instruction et de l’éduction scolaires dignes de ce nom qui puissent lui permettre d’être lui-même dans sa relation avec les autres, sans pour autant se laisser dissoudre ou diluer dans l’altérité. C’est donc un appel à une éducation et à une éducativité complète du Guidar qui est lancé, ceci à travers une éducation systématisée et un système à éduquer, parce que maintes difficultés sont à surmonter dans l’édification du Kaɗa.

N.B. : - Pour vos contributions, bien vouloir envoyer vos textes à l’adresse suivante : toumbapatale@gmail.com
        - Vous pouvez aussi nous retrouver sur Facebook : https://www.facebook.com/DiyNaKaa



[1] PLEG (Professeur des Lycées d’Enseignement Secondaire Général) en Espagnole de l’École Normale Supérieure de Maroua, Extrême Nord-Cameroun.
[2] Il s’agit à la vérité d’une espèce de haricot, du genre Vigna, qui est consommée sous plusieurs formes : frais, sec ou en beignets. Ses feuilles sont consommées comme légumes.
[3] Albert Douffissa (dir.), Le village Djougui. 20 ans d’expérience d’un Comité de développement au Nord Cameroun, Édité par le Comité de Développement de Djougui, sine data, p. 75.
[4] Le nom scientifique étant Sena tora.
[5] Feuilles du niébé, utilisées ici pour un met particulier.
[6] Feuilles d’oseille (plante potagère dont les feuilles, à la saveur acide, sont consommées), utilisées ici pour un met particulier.
[7] Ecclesia, Garoua, N°9, pp. 16-20.
[8] Albert Douffissa (dir.), Le village Djougui. 20 ans d’expérience d’un Comité de développement au Nord Cameroun, op. cit., p. 58.
[9] Ibid., p. 49.
[10] Dans la localité de Guider notamment.
[11] École Nationale de l’Administration et de la Magistrature.
[12] École Normale Supérieure.
[13] Cf. Ministère de l’éducation National du Cameroun, La réforme universitaire au Cameroun, Yaoundé, CEPER, 1993.
[14] Les Université de Buea, Douala, Dschang, N’Gaoundéré et Yaoundé 2.
[15] Conception notamment marquée par la non-scolarisation de la jeune fille.
[16] Arnold Gehlen, Anthropologie et psychologie sociale, Presses Universitaires de France, 1990, p. 53.

JE PEUX AUSSI FAIRE MON ARBRE GÉNÉALOGIQUE

Nous proposons au visiteur de notre blog de faire son propre arbre généalogique en s’inspirant de l’exemple suivant. Après avoir enregistré l’image dans votre ordinateur ou dans un disque amovible, et après l’avoir imprimée vous essayerez de remplir les vides. Sans le savoir, et peut-être même sans le vouloir, cela va vous obligera à entrer dans l’histoire profonde de votre propre famille.



Nous vous disons « Du courage ! » pour ce périple dans l’histoire de votre famille. Pour le Guidar en particulier, sachez que la reconstitution de l’histoire de plusieurs familles permettra de reconstituer celle de tout un village, pourquoi pas celle de toute la famille Kaɗa. Qui sait si vous qui envisagez à l’instant de faire votre propre arbre généalogique et moi n’avons pas les mêmes arrière-arrière-grands parents !

N.B. : - Pour vos contributions, bien vouloir envoyer vos textes à l’adresse suivante : toumbapatale@gmail.com
        - Vous pouvez aussi nous retrouver sur Facebook : https://www.facebook.com/DiyNaKaa

MON ARBRE GÉNÉALOGIQUE

Par Christian TOUMBA PATALÉ[1]
Par-delà le nom qui permet de nous identifier au sein de la communauté ou d’identifier tout un groupe de personnes, le lien sanguin est précis quant aux investigations sur un individu et/ou sur un groupe social donnés. Ne dit-on pas souvent que le lien de sang est très fort et éternel ? L’idée de Nation chères à plusieurs États, tant prémodernes que modernes, n’est-elle pas sous-tendue par le sentiment d’appartenance à une même famille des peuples de ceux-ci, et de lien historique qui les unis ? En tout cas, la génétique ne nous dira pas le contraire en ce qui concerne surtout le lien de sang. C’est dans une telle logique que se situe toute approche généalogique, pourquoi pas génétique de tout groupe ethnique. Une telle manière de faire permet de remonter aux origines des faits, des événements, des choses et des réalités qui ont été, dans le passé, des facteurs décisifs pour l’actualisation du présent, et de ce que sera le futur. La chose socioculturelle n’est pas en marge d’une telle façon de procéder. L’idée d’arbre généalogique, certainement plus ou moins bien connue de beaucoup, est, en ce sens, très illustrative. Mon arbre généalogique ! Non ! Je n’épiloguerai pas, au sens propre des termes, sur mon propre arbre généalogique. Ce dont il est question ici est l’insistance sur la fonction, le rôle, l’importance et la place de l’arbre généalogique dans la vie de tout individu en général et celle du Kaɗa en particulier. À la vérité, l’utilisation des arbres généalogiques est très ancienne.

Une histoire très ancienne

L’utilisation des arbres généalogiques est très ancienne. Déjà, les mythologies retraçaient les générations des dieux. Dans la Bible, c’est l’une des généalogies les plus populaires qui est reconstituée dans l’Évangile selon saint Matthieu[2]. Il en allait de même pour la tradition islamique dans laquelle une parenté avec le prophète charrie de l’honneur à travers le temps. C’est ainsi que, de façon générale, l’arbre généalogique a été utilisé pour établir la noblesse du sang d’un individu (la différence entre l’esclave et l’homme libre par exemple). L’historique des questions généalogiques pourrait être bien longue[3]. Étant d’un domaine scientifique à part entière qui est la généalogie, l’arbre généalogique, comme son nom l’indique, est ainsi désigné par analogie au développement végétal. La généalogie, si je m’en tiens à la définition que donne le Petit Robert de la langue française 2012 est la « Suite d'ancêtres qui établit une filiation »[4], la « Science qui a pour objet la recherche de l'origine et de la filiation des familles »[5] et l’ « historique d’un évènement »[6]. On entendra alors parler d’ascendance, de descendance, de famille, de filiation, de lignée, de race, etc.

Des motivations, fonctions et importances variées
L’élaboration de l’arbre généalogique peut être faite par une généalogiste professionnel ou par soi-même pour identifier des ancêtres sur plusieurs générations.
-         Il permet alors de retracer l’histoire d’une ou de plusieurs familles. C’est d’ailleurs la principale raison qui pousse beaucoup à élaborer leurs arbres généalogiques. Car ce sont les arrière-grands-parents, les grands-parents et les parents qui ont fait de nous ce que nous sommes.
-         D’un point de vue psychologique, l’arbre généalogique peut permettre la liaison psychologique d’un individu avec ses ancêtres. Dès lors, les évènements tant joyeux que tristes seront pris pour ce qu’ils sont. Cela est très palpable avec les descendances qui n’ont pu connaître leurs ascendants (les enfants abandonnés notamment).
-         Entre autres, des secrets (oubliés ou inavoués) dont les impacts sont lourds dans le présent et le future peuvent être révélés.
-         L’arbre généalogique permet aussi d’éviter les liens prohibés tels l’inceste. Sur ce point la culture Kaɗa est très regardant lorsqu’il s’agit nomment de lier ses fils et filles à travers l’union du mariage. Deux membres d’un même clan ne peuvent être unis par le mariage[7].
-         Il s’agit également de voir comment trouver sa place et sa voie dans l’ensemble que constitue la famille. L’on ne naît pas ex nihilo. Dans un contexte économique et politique en particulier, l’accompagnement du client à long terme et du politique pourra être facilité.
-         La nécessité peut aussi s’imposer ; lorsqu’il est par exemple question d’héritage, de la comptabilité familiale (n’oublions pas que l’étymologie du mot économie nous renvoie avant tout à la gestion des biens de la famille), de l’assurance de la noblesse de la lignée, etc.

Une variété de représentations

La représentation de la généalogie d’un individu se veut avant tout arborescente. Il y a toujours un individu racine en bas de la page et des individus parents dans les branches et les feuilles. Il s’agit ici d’un arbre généalogique faisant ressortir l’ascendance d’un individu. Il pourra aussi s’agir de la représentation d’une descendance ; là, nous aurons plutôt plusieurs racines, représentants les descendants de cet individu, racines qui vont tous, à partir du bas, converger vers l’individu en question. Pour être précis, l’arbre généalogique ascendant vise la recherche des ancêtres d’un individu, tandis que celui descendant porte sur la descendance d’un couple bien défini.

À toi maintenant de faire ton arbre généalogique

Nous proposons au visiteur de notre blog de faire son propre arbre généalogique en s’inspirant de l’exemple suivant. Après avoir enregistré l’image dans votre ordinateur ou dans un disque amovible, et après l’avoir imprimée vous essayerez de remplir les vides. Sans le savoir, et peut-être même sans le vouloir, cela va vous obligera à entrer dans l’histoire profonde de votre propre famille.

Nous vous disons « Du courage ! » pour ce périple dans l’histoire de votre famille. Pour le Guidar en particulier, sachez que la reconstitution de l’histoire de plusieurs familles permettra de reconstituer celle de tout un village, pourquoi pas celle de toute la famille Kaɗa. Qui sait si vous qui envisagez à l’instant de faire votre propre arbre généalogique et moi n’avons pas les mêmes arrière-arrière-grands parents !


N.B. : - Pour vos contributions, bien vouloir envoyer vos textes à l’adresse suivante : toumbapatale@gmail.com
        - Vous pouvez aussi nous retrouver sur Facebook : https://www.facebook.com/DiyNaKaa



[1] Étudiant-chercheur, Université de Dschang, Ouest-Cameroun.
[2] 1, 1-18. La liste des parents de Jésus contient alors quarante-deux (42) noms repartis en trois séries de quatorze (14) noms. Avant cela le livre de la Genèse présentait les liens de parenté entre le peuple de Dieu et les premiers hommes créés par Dieu (Adam et Ève). Parallèlement, les auteurs de plusieurs livres de la Bible prennent le soin d’insister sur l’enracinement historique des faits.
[4] Rey (Debove) et et Rey (Alain), Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2012, version électronique, texte remanié et amplifié, Le Robert/SEJER.
[5] Id.
[6] Id.
[7] Nous y reviendrons certainement dans un autre texte quand il sera question de réfléchir un tant soit peu sur la question du mariage chez les Kaɗa.

QUI SONT LES « ƊIY NA KAƊA » ?

Par Christian TOUMBA PATALÉ[1]


Qui sont les « Ɗiy na Kaɗa » ? Voilà une interrogation qui pose d’emblée le problème de la nature, de l’essence, de l’être, etc. de tout un peuple. L’on aurait d’ailleurs pu poser cette même préoccupation en des expressions similaires : Qui sont les « Kaɗa » ? Qui sont les Guidar ? Qui sont les « Baïnawa » ? Que veut dire Guidar ou « Baïnawa » ? Dans toutes ces formulations, la première question garde plus ou moins son sens. Tout compte fait, toute tentative de réponse à l’une comme à l’autre de ces questions devrait donner un savoir totalisant sur ce peuple qui fait l’objet principal de ce Blog. Seulement, une difficulté demeure : peut-on envisager définir l’être entier d’un homme, plus encore de tout un peuple ou d’un groupe de personnes, sans pour autant tomber dans une approximation sémantique et définitionnelle ; ceci, lorsque l’on sait que l’homme, dans sa singularité ou dans son appartenance à une société, est marqué par un dynamisme ? Mieux, la saisie intégrale de l’essence d’une culture peut-elle être effective, même lorsque celle-ci n’existe plus à travers ses peuples ?[2] Le piège ne serait-il pas plutôt de prétendre définir, en l’enfermant dans des mots, la consubstantialité de tout un groupe ethnique, sans pour autant arriver à le faire, mais plutôt à le faire sous l’angle de « sa propre » subjectivité et de « ses propres » penchants ? Loin de nous l’idée d’exposer, dans son entièreté, ce que signifient, respectivement, les termes et expressions « Guidar », « Baïnawa », « Kaɗa », « ma Kaɗa » ou « Ɗiy na Kaɗa », il s’agira surtout de les situer comme étant des « réalités », des « entités » ou des « unités » ethniques, linguistiques et socioculturelles.


I- L’unité ethnique et linguistique

Pour commencer, il faut le reconnaître, les « Ɗiy na Kaɗa », encore appelés Guidar, forment ce peuple de personnes qui parlent la langue guidar ou « ma Kaɗa ». Ainsi, le constat que l’on peut faire à partir de ces propos liminaires est celui de la mise en relation de l’ethnie à une réalité linguistique. Seulement, tout ne se limite pas à la simple langue que partagent entre eux les Guidar ; ce peuple a toute une histoire.

1-    Une tentative de consubstantialisation

En tant que groupe ethnique, c'est-à-dire comme ensemble d'individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture, les Guidar font partir des 22 millions[3] d’âmes environ réparties en 250 à 300 groupes ethniques que compte le Cameroun. Ils s’inscrivent dans l’une des quatre grandes familles linguistiques que l’on retrouve en Afrique, dont trois au Cameroun. Dans le cas précis de ce pays du Golfe de Guinée, nous avons le « phylum afroasiatique (mito-sémitique) », le « nilo-saharien » et le « niger-kordofan ». Le « phylum afro-asiatique » dans lequel figure le peuple guidar a deux familles : la « famille sémitique » et la « famille tchadique ». « Cette dernière, nous dit Patrick Toumba Haman, totalise 57 langues qui se subdivisent en cinq branches : la branche ouest, la branche centre-ouest, la branche sud, la branche est et la branche centre-est au sein de laquelle se retrouve le guidar encore appelé kada »[4].
Aussi utilise-t-on, au Cameroun, une autre forme de subdivision du territoire national, mais cette fois-ci en aires culturelles : l’aire Bantou, l’aire Grassfields, l’aire Sawa et l’aire Soudano-sahélienne. Les Guidar font partir de l’aire Soudano-sahélienne. Qu’à cela ne tienne, il importe de relever que les Baïnawa sont divisés en quatre clans, nommément les Moukdara, les Mambaya, les Monsokoyo et les Mbana[5]. Constitués d’environ 3 000 âmes aujourd’hui, ils s’inscrivent dans la logique de toute une lignée historique.

2-    Un peu d’histoire

Il était une fois, un peuple, un peuple qui, après de maintes pérégrinations, se constitua en un groupe ethnique…
L’origine du peuple guidar se situerait dans l’Égypte de la période pharaonique. Les Guidar viendraient précisément de la vallée du Nil, ceci, en passant par le Soudan, les alentours du Lac Tchad et les Monts Mandara. Ils occupent aujourd’hui les territoires du département du Mayo-Louti au Cameroun et de la région du Mayo-Kebbi Ouest du Tchad. Tout serait, en effet, parti de la chute de l’Égypte pharaonique. C’est ainsi que plusieurs peuples vont commencer des migrations. « Ces peuples, parmi lesquels se retrouveraient les Guidar, ont pris la direction du Sud et de l’Ouest du continent noir »[6].

Périple du peuple guidar de la Vallée du Nil jusqu’à son territoire actuel[7]

Après la déchéance de certains empires, des migrations multipliées et la dispersion causée par l’empereur du Bournou (Idriss Alaoma), les Guidar et d’autres groupes tels que les Daba, les Fali et les Mambaï vont s’installer dans les Monts Mandara. Ils vont ensuite descendre de façon progressive dans la vallée du Mayo-Louti, nom d’un cours d’eau (Mayo-Louta) et dont porte encore aujourd’hui un département (département dont le chef-lieu est Guider) de la Région du Nord du Cameroun. Les Guidar vont dont aussi se retrouver dans les régions du Mayo-Kebbi Ouest et, pour quelques-uns, accompagnés des Moudang, du Mayo-Kebbi Est du Tchad. Ils sont aussi repartis dans la région du Nord du Cameron, notamment dans le département du Mayo-Louti et les localités de Ngong, Lagdo, Pitoa, Rey Bouba, etc. avec, entre autres, les autres régions du Septentrion du pays (l’Adamaoua et l’Extrême Nord) ; certaines de ces populations se trouvent aussi dans les autres parties du pays.

 Localisation géographique du département du Mayo-Louti au Cameroun et des régions du Mayo-Kebbi Ouest et du Mayo-Kebbi Est au Tchad

3-    En bref ?

Somme toute, la culture des « Kaɗa » s’inscrit donc dans la diversité et la richesse du patrimoine socioculturel et artistique africain. Au-delà des langues officielles du Cameroun et du Tchad que sont le français, l’anglais et l’arabe, la langue des Baïnawa vient s’illustrer comme étant une réalité linguistique nationale, et pourquoi pas internationale, à part entière. Toutes choses qui contribueront d’ailleurs à densifier et à diversifier la caractérisation de ceux-ci.

II- De la multiplicité/diversité de dénominations

Dans leur quotidien, les hommes utilisent des « termes » ou des « noms » pour s’identifier les uns les autres. Il en va de même pour les groupes ethniques. Ceux-ci ont des dénominations qui permettent de les distinguer des autres groupes. Ces appellations peuvent être données par eux-mêmes et/ou par les autres. C’est ainsi que dans le cas des Guidar, tout individu qui aurait eu à séjourner dans leurs localités connaîtrait certainement le mot « Baïnawa ». Quel est, en effet, la signification d’un tel mot ? S’agit-il d’une notion rattachée à une histoire mythologique, ou simplement d’une question de vision-visée-finalité légendaire ? Du moins serait-il plutôt question d’une qualification faite par d’autres, peut-être dans un sens mélioratif/laudatif ou péjoratif/dépréciatif du peuple ? Ne désigne-t-on pas souvent un peuple par sa langue ou par son territoire ?

1-    Guidar : mon ami ?

Le terme Guidar qui vient de dardar, le nom du clan fondateur moukadara, désigne littéralement « les gens bien forts, bien "damés" ». Le terme Guidar est aussi un paronyme de Guider[8]. Il s’agit surtout d’un rapprochement qui est fait entre le peuple et la principale ville dans laquelle se trouve ce peuple. Il importe cependant de relever que les habitants de la localité de Guider ne sont pas tous des Guidar dans le sens Ɗiy na Kaɗa du terme. C’est ainsi que territorialement parlant, les Daba, les Mambay, le Guiziga et les Fali peuvent faire partir des Guidar, ceci comme habitants de Guider.
Un autre mot utilisé pour désigner le Guidar est « Baïnawa » ou « Baynawa », nom qui est traduit littéralement par « Mon ami »[9]. Il s’agirait certainement d’une écoute fréquente des Guidar qui s’interpellent. Le passant étranger, ignorant de la langue prendrait donc simplement le mot fréquemment suivi : Baïnawa, « Baridi baïnawa ? », « Djami tagaïda baïnawa », etc. Seulement, l’on ne saurait se limiter à la seule appellation de provenance externaliste. Selon une approche internaliste, les Guidar sont appelés « Ɗiy na Kaɗa » ; c'est-à-dire ceux qui parlent la langue guidar ou ma Kaɗa.

2-    Le Guidar ou celui qui parle le Guidar ?

« Comme toute langue n’existe que par rapport à un peuple, il serait bon de parler des locuteurs de la langue guidar qui sont eux-mêmes appelés peuple guidar. »[10] Un tel raisonnement peut-il encore être à l’ordre du jour ? En tout cas c’est une problématique qui doit faire l’objet de tout un débat. Suffit-il de parler la langue d’un groupe ethnique pour prétendre faire partir du groupe, bien que toute langue se définisse par un peuple ? Tous ceux qui appartiennent à un tel peuple s’expriment-ils toujours dans leur langue ?
Au-delà de toutes ces interrogations nous retiendrons quelques conclusions personnelles[11] :
-         Est Guidar, toute personne dont le père est Guidar ; ceci étant donné que la généalogie est patriarcale nonobstant justement l’appellation de la langue nationale en terme de « langue maternelle ».
-         Les épouses des Guidar (et certainement des enfants d’adoption), bien que n’étant pas Guidar par filiation biologique, peuvent faire partir du groupe ethnique. Ces épouses et ces « fils d’adoption » participent plus ou moins à toutes les activités culturelles et peuvent prendre part aux rencontres des associations à caractère culturel, etc.
-         Il ne suffit pas pour une personne non-Guidar qui parle la langue guidar de prétendre appartenir au groupe ethnique Guidar ; mais c’est du moins un esprit à louer, à savoir amener le plus nombreux possible de personnes à parler la langue Guidar. Parmi les personnes non-Guidar qui envisagent parler la langue des Kaɗa nous pouvons citer toutes les personnes vivant avec et parmi les Guidar, et toute personne de bonne volonté[12].


Au bout du compte, une chose est à retenir : l’ethnie Guidar est très riche dans la diversité de ses constituants. Elle est formée d'éléments très différents, souvent disparates et hétérogène, éléments qui participent pourtant à son homogénéité et à sa solidité.


N.B. : - Pour vos contributions, bien vouloir envoyer vos textes à l’adresse suivante : toumbapatale@gmail.com
        - Vous pouvez aussi nous retrouver sur Facebook : https://www.facebook.com/DiyNaKaa



[1] Étudiant-chercheur, Université de Dschang, Ouest-Cameroun.
[2] L’exemple des peuples de l’Égypte pharaonique ou des Sao nous en dit d’ailleurs beaucoup. Il n’est pas toujours aisé de cerner les réalités de ces peuples dans tous leurs contours malgré le fait qu’ils n’existent.
[3] Cf. Rapport de présentation des résultats définitifs du 3ème Recensement Général de la Population et de l’Habitat de novembre 2005 au Cameroun, Livre "Rapport de Présentation des résultats définitifs, 22 avril 2010, par le Bureau Central des Recensements et des Études de Population.
[4] Cf. « Le peuple guidar : ses origines, ses traditions et l’impact de la modernité occidentale », Patrick TOUMBA HAMAN, Cadre d’études au ministère des enseignements secondaires, à l’occasion de l’ouverture du laboratoire de ressources orales à Yaoundé le 26 juin 2009.
[5] Cf. R.G. Schuh, Données de la langue Guidar (MA KADA), Yaoundé, Société Internationale de Linguistique, 1987.
[6] P. Toumba Haman, « Le peuple guidar : ses origines, ses traditions et l’impact de la modernité occidentale », op. cit., p. 3.
[7] Toutes les images utilisées dans cet article sont tirée de Google Earth, 17 février 2014.
[8] Cf. C. Collard, « La Société guidar du Nord-Cameroun », in L’homme, 1971, tome 11, n° 4, pp. 91-95.
[9] « Baï » qui veut dire ami et « Nawa », mon.
[10] P. Toumba Haman, « Le peuple guidar : ses origines, ses traditions et l’impact de la modernité occidentale », op. cit., p. 1.
[11] Beaucoup de précisions peuvent encore être apportés par des personnes-ressources plus averties.
[12] Peut-être pour des questions de recherches à caractère scientifique en histoire ou études africaines par exemple.