Par Bienvenu DAYA TODOU[1]
1900 après l’avènement du Christ naquis-je.
Quel serait mon but dans la vie ? À quoi était vouée mon existence ?
Qu’en savais-je moi-même ? Mes liens avec l’autre monde furent coupés ;
et à mon paternel de me donner un nom dont aujourd’hui encore le joug me pèse.
Mais le poids de ce léger fardeau se fait ressentir de jour en jour d’ores et
déjà que ma destinée se présente plus visible à l’aurore de ma vie. Lorsque j’eus
commencé à penser, il y avait tellement de choses à comprendre, à connaître,
mais comme le dis l’oracle de Delphes « connais
toi toi-même », j’entrepris
donc de penser l’essence de mon être et
ses origines. Ce fut alors là que je m’apercevais du profond vide en moi, les
questions comme « Qui suis-je ? »
et « D’où je viens ? »
traversèrent ma conscience avec tant de fulgurances qu’elles me parurent
essentielles. Comment vivre dépossédé de tout ce qui fait de moi ce que je
suis ? Je suis le membre d’un corps qui, lui peut vivre sans moi, mais moi,
le membre je me meurs sans ce corps. Qui pourrait vivre ignorant de son passé,
de ses origines, se disant qu’il n’en a rien à foutre, vaquant paisiblement à
son quotidien comme si de rien n’était, si ce n’est un imbécile qui ne sait
qu’il poursuit son impasse, qu’il recherche son néant ? Je n’arrive point
armé de vérités décisives, cependant en toute sérénité, je pense qu’il serait
bon que certaines choses soient dites. Ces choses, je vais les dire, non les
crier, car nombreux sont-ils ceux là, qui ont ressassé ce message pour
réveiller les cœurs endormis.
« Chacun court
après son bonheur » disait Beaumarchais, mais nous le cherchons où il
ne faut pas ; car ce dernier n’est jamais loin. Aussi est-il une
récompense qui vient à ceux qui ne l’ont point cherché. Parlons de la « race guidar », à laquelle j’appartiens. Elle se détourne de ses
traditions au profit de cette soit disant modernité. Beaucoup entreprennent des
voyages, pensant pouvoir s’en sortir loin de chez soi, ils se disent vouloir
s’élever même au dépend de leur frères ; car tous les moyens sont bons pour
acquérir l’objet convoité. On ne rencontre plus l’entraide d’auparavant,
l’amour d’antan, sachez donc que quand l’argent est roi, l’amour est exilé, et
sans amour rien de bon, rien de grand, rien de durable ne pourra subsister dans
ce monde. Nous abandonnons nos coutumes, nos traditions pour imiter celles d’un
autre, malheur à nous car viendra un jour ou celle-ci nous rejetteront. Mais ce
jour les « "mugdara"[2]
de Guider » seront là, pour retirer le voile de vos yeux aveuglés, et
vous ramener de votre égarement.
À toi qui te dis guidar, ton peuple se meurt, ton dialecte
menacé d’extinction, crois-tu vraiment exister si tu rejette ta langue
maternelle pour en parler une autre ? Parler une langue, le dit-on
souvent, c’est assumer un monde et une culture. Le Bainawa[3] qui assume sa
personne en tant que tel le sera d’autant plus qu’il aura fait sien
l’instrument culturel qu’est la langue guidar. Pourquoi donc nous disons-nous guidar
sinon parce que nous parlons la même langue, partageons les mêmes coutumes et
mythes ? Je sais qu’il y en a qui ne savent prononcer mot en leur patois, ce sont des
brebis égarés, emportés par le courant de la mondialisation qui s’est déchaîné
il y a quelques siècles. L’auteur lui-même pourrait y être comptabilisé,
toutefois il conviendrait de se rappeler un vieux proverbe guidar qu’un sage a
bien voulu retranscrire : « amtaŋ
mǝzawany ɓa sa »[4], pour dire qu’ « on ne peut mourir sans tenter de se faire soigner ». Il faut à cet effet
mener un combat contre le sort, une lutte sans merci quitte à vaincre la
fatalité. On ne saurait être plus à plaindre, le fussions-nous, car il y en a
ceux qui manient l’art de parler cette langue si délicate et douce mais se
sentent éhontés. Or on voit si bien qu’à eux la chance, ou du moins le fardeau,
de pérenniser le dialecte des gambara[5],
a été donné. Vous vous croyez civilisés en parlant français ou anglais, or, et c’est
là un point important, vous constaterez par vous-mêmes que c’est l’inverse,
vous êtes loin de l’être, vous êtes perdus dans un gouffre sans fin, « déracinés » aime-t-on
souvent le dire. Guidar, toi le bainawa perdu,
reviens à tes origines, elles t’appellent, rappelle toi, ton passé glorieux ;
ton âme apeurée te le dira. Actuellement encore la plupart d’entre nous sommes
illettrés parce que ne connaissant pas notre langue maternelle, et parmi nous
ceux qui, plus déracinés, vont souvent jusqu’à renier et leur culture et leur
tradition. Oh ! Ô ! Toi le kaɗa
il faut parler en la langue de ton
pays ; à celui qui la parle déjà, je ne donnerai aucun apéritif.
Mais peuple guidar sans toi la terre ne serrait pas la terre,
avec ardeur j’ai gardé ta mémoire ; tu es en moi comme l’écharde dans la
blessure, comme un fétiche tutélaire au centre du village ; fais de moi la
pierre de ta fronde, le fer de ta lance, de ma bouche la bouche de tes
malheureux, de mes genoux les colonnes brisées de ton abaissement, je ne veux être que de ta race. Le destin nous
dresse épaule contre épaule et quant revient l’antique maléfice des tabous du
sang, nous foulons les décombres de nos solitudes. De tous les peuples de la
surface de la terre, nous brasserons le mortier des temps fraternels dans la
poussière des idoles et dans les rythmes bien cadencées du Guma[6] ancestral. L’acculturé
joue au chat et à la souris, quant à toi gawla[7] tu
ne saurais bien réagir qu’en restant attaché à ton peuple, à ta culture. Tu te
croiras peut être hors du monde, peut être te verra-tu à la traine, mais tes
aïeuls sont fiers de toi et t’appellent sans cesse au perfectionnement de ta
personne, de ta culture car tu es, tel un aigle qui éveille, sa nichée. Il
serait ainsi judicieux de rejeter tout ce qui pourrait entacher notre
civilisation.
Comme on pourrait le constater, c’est seulement avec
l’apparition de GUMA-ASPROCG[8]
qu’on a pu voir naître, de façon bien sûr plus effective, une revendication,
une assomption de l’identité culturelle
du guidar. La preuve la plus concrète, d’ailleurs, en est cette impression que
ressentent les jeunes générations. On s’aperçoit ainsi d’un véritable réveil
culturel. De temps à autres certains s’arrêtent et expriment leur appartenance
à tel village ou tel autre pour se démarquer. C’est une bonne chose, mais nous
y gagnerons beaucoup plus avec une concurrence qui valorise l’autre. Nous
sommes tous issus de la grande famille
guidar. Pourquoi fais-tu la guerre à la
chair de ta chair, au sang de ton sang ? Tu fais une course aux
strapontins avec ton familier, tu fais du tort à ton frère. Sachons que,
partout où nous serons, nous représentons la race guidar, on nous jugera par
les actes que nous posons aujourd’hui ; et ces actions marqueront également
les générations futures : « Əlfa
appan zǝn sa » (« Le
sang d’une famille ne se renie pas »). Nous ne poussons pas la naïveté
jusqu’à croire que les appels à la raison ou au respect du culturel puisse
changer le réel, mais amener l’homme guidar à être actionnel, en maintenant
dans sa circularité le respect des valeurs fondamentales qui l’animent, telle
est la première urgence de celui qui, après avoir réfléchi, s’apprête à agir.
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[1] Étudiant.
[2] Un
clan guidar.
[3]
Terme guidar qui signifie « mon
ami » et qui désigne aussi le guidar (Kaɗa) lui-même.
[4]
Pour des proverbes, dictons et autres expressions usuels en langue guidar, l’on
pourra se référer à l’œuvre du Dr Albert DOUFFISA VONDOU en collaboration avec
VONDOU OUMAROU, Athanase BOUKA TÉOKÉ et TOUMBAYA TIYÉ, Proverbes, dictons et expressions guidar (Ma Gawla), infographie de
Roger KENGMO, avec le coup de crayon de RETIN, octobre 2009, 149 p.
[5]
Terme guidar qui dire puissant, fort, etc. et le plus souvent symbolisé par le
lion.
[6] À
la fois danse traditionnelle particulière des kaɗa et tam tam principal pour
exécuter la musique de la dite danse.
[7] Le
plus souvent utilisé pour désigner le jeune, le vaillant, le curieux, le brave,
le courageux, etc.
[8]
Acronyme désignant l’Association pour la Sauvegarde et la PROmotion de la
Culture Guidar.
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(Octobre 2013)