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mardi 22 octobre 2013

« Ɗiy na Kaɗa »: MASQUE CULTUREL ET TRADITION GUIDAR : CHRONIQUES D...

« Ɗiy na Kaɗa »: MASQUE CULTUREL ET TRADITION GUIDAR : CHRONIQUES D...: Par Bienvenu DAYA TODOU [1] 1900 après l’avènement du Christ naquis-je. Quel serait mon but dans la vie ? À quoi était vouée mon exi...

MASQUE CULTUREL ET TRADITION GUIDAR : CHRONIQUES D’UN JEUNE KAƊA



Par Bienvenu DAYA TODOU[1]
1900 après l’avènement du Christ naquis-je. Quel serait mon but dans la vie ? À quoi était vouée mon existence ? Qu’en savais-je moi-même ? Mes liens avec l’autre monde furent coupés ; et à mon paternel de me donner un nom dont aujourd’hui encore le joug me pèse. Mais le poids de ce léger fardeau se fait ressentir de jour en jour d’ores et déjà que ma destinée se présente plus visible à l’aurore de ma vie. Lorsque j’eus commencé à penser, il y avait tellement de choses à comprendre, à connaître, mais comme le dis l’oracle de Delphes « connais toi toi-même »,  j’entrepris donc de   penser l’essence de mon être et ses origines. Ce fut alors là que je m’apercevais du profond vide en moi, les questions comme « Qui suis-je ? » et « D’où je viens ? » traversèrent ma conscience avec tant de fulgurances qu’elles me parurent essentielles. Comment vivre dépossédé de tout ce qui fait de moi ce que je suis ? Je suis le membre d’un corps qui, lui peut vivre sans moi, mais moi, le membre je me meurs sans ce corps. Qui pourrait vivre ignorant de son passé, de ses origines, se disant qu’il n’en a rien à foutre, vaquant paisiblement à son quotidien comme si de rien n’était, si ce n’est un imbécile qui ne sait qu’il poursuit son impasse, qu’il recherche son néant ? Je n’arrive point armé de vérités décisives, cependant en toute sérénité, je pense qu’il serait bon que certaines choses soient dites. Ces choses, je vais les dire, non les crier, car nombreux sont-ils ceux là, qui ont ressassé ce message pour réveiller les cœurs endormis. 
« Chacun court après son bonheur » disait Beaumarchais, mais nous le cherchons où il ne faut pas ; car ce dernier n’est jamais loin. Aussi est-il une récompense qui vient à ceux qui ne l’ont point cherché. Parlons de la « race guidar », à laquelle j’appartiens. Elle se détourne de ses traditions au profit de cette soit disant modernité. Beaucoup entreprennent des voyages, pensant pouvoir s’en sortir loin de chez soi, ils se disent vouloir s’élever même au dépend de leur frères ; car tous les moyens sont bons pour acquérir l’objet convoité. On ne rencontre plus l’entraide d’auparavant, l’amour d’antan, sachez donc que quand l’argent est roi, l’amour est exilé, et sans amour rien de bon, rien de grand, rien de durable ne pourra subsister dans ce monde. Nous abandonnons nos coutumes, nos traditions pour imiter celles d’un autre, malheur à nous car viendra un jour ou celle-ci nous rejetteront. Mais ce jour  les « "mugdara"[2] de Guider » seront là, pour retirer le voile de vos yeux aveuglés, et vous ramener de votre égarement.
À toi qui te dis guidar, ton peuple se meurt, ton dialecte menacé d’extinction, crois-tu vraiment exister si tu rejette ta langue maternelle pour en parler une autre ? Parler une langue, le dit-on souvent, c’est assumer un monde et une culture. Le Bainawa[3] qui assume sa personne en tant que tel le sera d’autant plus qu’il aura fait sien l’instrument culturel qu’est la langue guidar. Pourquoi donc nous disons-nous guidar sinon parce que nous parlons la même langue, partageons les mêmes coutumes et mythes ? Je sais qu’il y en a qui ne savent  prononcer mot en leur patois, ce sont des brebis égarés, emportés par le courant de la mondialisation qui s’est déchaîné il y a quelques siècles. L’auteur lui-même pourrait y être comptabilisé, toutefois il conviendrait de se rappeler un vieux proverbe guidar qu’un sage a bien voulu retranscrire : « amtaŋ mǝzawany ɓa sa »[4], pour dire qu’ « on ne peut mourir sans tenter de se  faire soigner ». Il faut à cet effet mener un combat contre le sort, une lutte sans merci quitte à vaincre la fatalité. On ne saurait être plus à plaindre, le fussions-nous, car il y en a ceux qui manient l’art de parler cette langue si délicate et douce mais se sentent éhontés. Or on voit si bien qu’à eux la chance, ou du moins le fardeau, de pérenniser le dialecte des gambara[5], a été donné. Vous vous croyez civilisés  en parlant français ou anglais, or, et c’est là un point important, vous constaterez par vous-mêmes que c’est l’inverse, vous êtes loin de l’être, vous êtes perdus dans un gouffre sans fin, « déracinés » aime-t-on souvent le dire. Guidar, toi le  bainawa perdu, reviens à tes origines, elles t’appellent, rappelle toi, ton passé glorieux ; ton âme apeurée te le dira. Actuellement encore la plupart d’entre nous sommes illettrés parce que ne connaissant pas notre langue maternelle, et parmi nous ceux qui, plus déracinés, vont souvent jusqu’à renier et leur culture et leur tradition. Oh ! Ô ! Toi le kaɗa  il faut parler en la langue de ton pays ; à celui qui la parle déjà, je ne donnerai aucun apéritif.
Mais peuple guidar sans toi la terre ne serrait pas la terre, avec ardeur j’ai gardé ta mémoire ; tu es en moi comme l’écharde dans la blessure, comme un fétiche tutélaire au centre du village ; fais de moi la pierre de ta fronde, le fer de ta lance, de ma bouche la bouche de tes malheureux, de mes genoux les colonnes brisées de ton abaissement,  je ne veux être que de ta race. Le destin nous dresse épaule contre épaule et quant revient l’antique maléfice des tabous du sang, nous foulons les décombres de nos solitudes. De tous les peuples de la surface de la terre, nous brasserons le mortier des temps fraternels dans la poussière des idoles et dans les rythmes bien cadencées du Guma[6]  ancestral. L’acculturé joue au chat et à la souris, quant à toi gawla[7] tu ne saurais bien réagir qu’en restant attaché à ton peuple, à ta culture. Tu te croiras peut être hors du monde, peut être te verra-tu à la traine, mais tes aïeuls sont fiers de toi et t’appellent sans cesse au perfectionnement de ta personne, de ta culture car tu es, tel un aigle qui éveille, sa nichée. Il serait ainsi judicieux de rejeter tout ce qui pourrait entacher notre civilisation.
Comme on pourrait le constater, c’est seulement avec l’apparition de GUMA-ASPROCG[8] qu’on a pu voir naître, de façon bien sûr plus effective, une revendication, une assomption de l’identité  culturelle du guidar. La preuve la plus concrète, d’ailleurs, en est cette impression que ressentent les jeunes générations. On s’aperçoit ainsi d’un véritable réveil culturel. De temps à autres certains s’arrêtent et expriment leur appartenance à tel village ou tel autre pour se démarquer. C’est une bonne chose, mais nous y gagnerons beaucoup plus avec une concurrence qui valorise l’autre. Nous sommes tous  issus de la grande famille guidar. Pourquoi  fais-tu la guerre à la chair de ta chair, au sang de ton sang ? Tu fais une course aux strapontins avec ton familier, tu fais du tort à ton frère. Sachons que, partout où nous serons, nous représentons la race guidar, on nous jugera par les actes que nous posons aujourd’hui ; et ces actions marqueront également les générations futures : « Əlfa appan zǝn sa » (« Le sang d’une famille ne se renie pas »). Nous ne poussons pas la naïveté jusqu’à croire que les appels à la raison ou au respect du culturel puisse changer le réel, mais amener l’homme guidar à être actionnel, en maintenant dans sa circularité le respect des valeurs fondamentales qui l’animent, telle est la première urgence de celui qui, après avoir réfléchi, s’apprête à agir.

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[1] Étudiant.
[2] Un clan guidar.
[3] Terme guidar qui signifie « mon ami » et qui désigne aussi le guidar (Kaɗa) lui-même.
[4] Pour des proverbes, dictons et autres expressions usuels en langue guidar, l’on pourra se référer à l’œuvre du Dr Albert DOUFFISA VONDOU en collaboration avec VONDOU OUMAROU, Athanase BOUKA TÉOKÉ et TOUMBAYA TIYÉ, Proverbes, dictons et expressions guidar (Ma Gawla), infographie de Roger KENGMO, avec le coup de crayon de RETIN, octobre 2009, 149 p.
[5] Terme guidar qui dire puissant, fort, etc. et le plus souvent symbolisé par le lion.
[6] À la fois danse traditionnelle particulière des kaɗa et tam tam principal pour exécuter la musique de la dite danse.
[7] Le plus souvent utilisé pour désigner le jeune, le vaillant, le curieux, le brave, le courageux, etc.
[8] Acronyme désignant l’Association pour la Sauvegarde et la PROmotion de la Culture Guidar.